À quelques heures du réveillon, vous vous dirigez vers la cave, où sommeillent tranquillement les vins, que vous appréciez, mais que vous ne savez pas forcément mettre en valeur, comme ils le mériteraient, tandis que les premiers effluves du dîner ont déjà envahi la cuisine. Votre famille, vos amis, vos proches vont vous rejoindre et vous aurez plaisir à partager avec eux quelques-unes de vos meilleures bouteilles, en toute convivialité. Vous souriez donc déjà, en ouvrant la porte qui mène « derrière les fagots » et devant la perspective de ces bons moments. Votre espoir est à la hauteur de ces longues années, durant lesquelles vous avez chaleureusement couvé du regard cette bouteille que vous allez ouvrir et partager. Pourtant au moment où vous posez votre main sur son goulot afin de la préparer soigneusement, le doute vous étreint… Sera-t-il à la hauteur ? Et s’il était bouchonné ? Est-ce que je le sers comme ça, ou est-ce que je dois le carafer ? Et surtout comment faire pour la servir ?
La dernière fois, vous aviez été déçu de ne pas avoir décanté ce vieux millésime de vin rouge. Du coup, il était resté trouble et son nez avait été entaché de notes un peu poussiéreuses, vieillottes, de champignons…Il faut s’y résoudre, vous ne pouvez pas laisser une si belle bouteille tant attendue dans son jus, sur son dépôt, il faut la décanter !
En cave vos bouteilles sont bien disposées, classées par origine, et millésime, mais surtout l’étiquette sur le dessus pour pouvoir la lire sans la bouger, comme pour donner un sens à ce cylindre. Si l’étiquette est décollée ou absente, pas de panique on n’a jamais vu la poussière tomber vers le haut, servez-vous en comme repère. Vous n’avez donc eu aucun mal à retrouver celle que vous cherchiez, et à vous en saisir. À partir de maintenant elle ne doit plus bouger jusqu’à la carafe. Vous devez la tenir horizontale dans le sens dans lequel elle reposait sur son rayonnage, sans roulis, ni tangage. C’est donc la démarche souple et le pas chaloupé que vous allez rejoindre votre plan de travail. Attention à la marche ! Ce n’est vraiment pas le moment de trébucher et que l’éponge soit la seule à profiter du nectar ! Il faudra d’ailleurs que vous pensiez à vous installer plus près de vos bouteilles, si cette manœuvre était amenée à se répéter plus souvent. Une vieille table, ou mieux une barrique fera parfaitement l’affaire pour vous appuyer et décanter directement à la cave au plus près de la source.
Cette fois-ci vous y êtes ! La carafe est prête, sèche, et surtout neutre, sans odeurs parasites, mais il vous faudra également, un couteau, un verre, et une corbeille, ou un genre de plat à cake, à la fois long et bien creux recouvert d’un torchon dans lequel on puisse faire maintenir une bouteille allongée sans qu’elle ne roule. Enfin, il vous faut garder un œil sur l’heure, et estimer combien de temps il faut pour que le vin puisse se réchauffer tranquillement sans être brusqué. La température de service a d’énormes répercutions sur la dégustation et quelques degrés de plus ou de moins peuvent totalement révéler un vin. Pas question d’avoir recours au micro-onde, mais vous pouvez jouer sur les variations naturelles de températures de la pièce, afin d’accélérer ou de ralentir les phénomènes.
C'est le moment de décanter
À partir de maintenant vous pouvez décanter. L’objectif est donc de laisser le dépôt formé par le vin au cours de ces longues années passées à la cave, au fond de la bouteille, et de ne transvaser dans la carafe, prêt à servir à vos invités, que du vin limpide. Après avoir très légèrement relevé la bouteille sur le bord de la corbeille (ou du plat), pour faire remonter la bulle d’air au niveau du bouchon, vous avez retiré la capsule et vous allez déboucher. Le choix d’un bon outil est à ce stade primordial. Vos anniversaires, et noëls précédents ont dû vous fournir la panoplie complète du parfait sommelier, et après un rapide coup d’œil au bouchon vous êtes en mesure de choisir l’arme avec laquelle vous allez opérer.
C’est à ce stade que le port du tablier est fortement recommandé, a fortiori si vous avez fait le choix un peu présomptueux, d’enfiler votre tenue de soirée, avant de vous occuper du vin ! Il vous faut donc parvenir à retirer le bouchon sans relever davantage la bouteille. À ce stade il faut bien admettre qu’un entraînement régulier sur des flacons où la décantation vous apparaît moins primordiale, est fortement conseillé. Toutefois la chance sourit aux audacieux et vous pouvez tenter pour la première fois cette manipulation délicate sur l’une de vos plus belles bouteilles. Toujours est-il qu’une fois ouverte, et encore maintenue à peine inclinée, vous avez désormais la carafe dans une main et la bouteille dans l’autre. Vous suivez donc lentement la chute du vin d’un contenant vers l’autre, en un fin filet, jusqu’à ce qu’il se trouble. Un éclairage (traditionnellement à la bougie) par le dessous, ou un fond blanc, vous aidera à bien saisir ce moment fugace où le trouble apparaît. C’est gagné, vous n’avez récupéré que le meilleur de cette bouteille, et vous allez pouvoir la goûter pour choisir son avenir.
Le jugement final
Bouchonnée, elle partira à l’évier ! Rien à faire, c’est assez rare mais forcément malheureux et rédhibitoire ! Il ne vous reste plus qu’à retourner en chercher une autre. Versez-vous un verre du précieux nectar pour apprécier son état actuel et sa faculté à accepter le contact avec l’oxygène. Le vin vous paraît déjà trop évolué, passé, presque madérisé, remettez-le dans sa bouteille lavée et égouttée, le plus rapidement possible, mais sans le brusquer, et refermez même le bouchon. Après des années passées à l’abri de l’oxygène il ne faudrait pas que ce grand bol d’air achève définitivement votre vin. Observez régulièrement son état et selon les meilleurs spécialistes, il y a forcément un moment où le vin refera surface pour vous livrer le meilleur de lui-même. Pourvu que ce moment arrive avant la fin de votre diner !
Pour tous les autres cas, après décantation le vin doit être net sans faux goûts débarrassés de ses parfums les plus rustiques. Laissez le verre à côté de la carafe, il va évoluer juste un peu plus vite, et ainsi vous donner régulièrement la marche à suivre, continuer à aérer ou au contraire ralentir, arrêter en replaçant le bouchon. Dans tous les cas fiez-vous à votre bon sens, le vin en carafe est en contact avec l’oxygène et plus il se réchauffera et plus l’action de l’oxygène sera rapide.
Enfin, prenez des notes, ou au moins faîtes travailler votre mémoire, il est rare d’avoir à la cave un seul exemplaire d’une bouteille, et on apprend souvent plus de ses erreurs. Apprenez ainsi à connaître votre cave et les réactions de vos bouteilles. C’est en forgeant que l’on devient forgeron, alors bonne dégustation…